Mes enfants aiment la plage. Les vagues, le sable, l’écume. J’aime y marcher pieds nus, regarder l’horizon, pour y rêver de voyages, pour laisser naître les idées, pour oublier ce qui doit ou peut l’être.
Que sera devenue l’idée du bord-de-mer au retour des beaux jours si rien ne change?
Alan Kurdi allongé, mort. D’autres enfants aussi. Des femmes, des hommes. Par centaines, la mer leur porte le coup fatal, à l’instant même où les vagues semblaient dessiner en écume le mot « avenir », puis le sable un linceul. Certains sont encore debout et échouent un peu plus loin. Une jungle dit-on. Non, dans l’indignité que nous leur offrons; cyniques, aveugles sommes-nous. Là-bas, les derniers sourires se noient sous nos yeux et laissent place à des âmes qui grandiront tristes.
De l’autre côté, ils ont regardé l’horizon. Pas comme un rêve mais comme seule issue. Mourir ici ou peut-être vivre là-bas. Une hypothèse suffisante quand l’horreur talonne. Tout quitter. Imaginez. Tout quitter. Sommes-nous seulement capable de comprendre?
Je ne suis personne. Une voix anonyme dans un océan. Un océan au parfum âcre de mort. Une voix éteinte qui ne comprend pas. Pourquoi ne fait-on pas assez? Mon indignation est solitude et pourtant je la sais partagée par tant. Quel cri pousser pour que la vague devienne onde de solidarité; pour que nous, parcelles infimes de l’être-monde, ouvrions nos bras? Quelle humanité nous reste-t-il désormais?
Dehors le vent, le gris, la pluie. A Calais, le même vent, le même gris, la même pluie, et la boue, et l’humidité, et le froid glissant le long des cous, et l’espoir qui désespère sous une toile de tente détrempée. Les enfants là-bas sont les miens. Je suis les mères. Les pères sont mon mari, mes frères.
A quoi sert mon indignation si elle se mure dans le silence? A rien. La solidarité peut-elle être un problème? Jamais. Comment être utile? Donner à des associations? Notre monde a besoin de bien plus que de cette solidarité là; celle des peuples, des nations, des États, de notre moi collectif.
Alors, faut-il crier? Quel cri pousser? Vers qui tendre ce cri? A quelles voix se joindre? Qui entend? Qui écoute? Quel cri faut-il donc pousser?