Tu ne peux rien en savoir, tu ne peux t’y préparer
Je veux saisir la lumière pouvoir la dire cette lumière aveuglante avant qu’elle ne s’estompe ou que l’œil ne la dompte laissant un instant aux formes de se préciser de s’installer dans l’espace la lumière n’a pas de couleur elle inonde tout ce qui se remplir peut tout ce qui déborder doit la lumière est une vague insaisissable elle dilue mon corps au moment où
Je veux saisir la poussière sur le seuil des choses qui ont vécu dans ma mémoire la poussière en poignée dans le creux de ma paume la souffler épaissir un peu plus la couche qui enveloppe le monde derrière ou devant celui plus loin ou jadis nimbe de silence ici aucun pas n’imprime sa marque à la poussière elle vit et grandit dès que
Je veux saisir le goût l’ultime goût la saveur qui là restera sur ma langue avant que ne s’assèche la salive c’était un œuf battu d’un poignet maternel c’était la nuque qui penchée sur l’ouvrage ne savait dissimuler un sourire et pourtant l’ultime goût l’ultime larme un soupçon salé versé décoction cuisson et dans du pain déposé à la table cène
Je veux saisir l’odeur lorsque le passage s’ouvre celle des corps ou du mien les aisselles transpirent les histoires de terres labourées de chemins perdus d’écharpes de brumes retenir les parfums conteurs de temps l’urine du nouveau-né et de l’ancêtre sur le seuil sont ici réunis des peaux neuves et fripées des mains moites passent sur les paupières des arrivants
Je veux saisir l’instant précis où le ciel devient ultime ancrer ce moment un nuage une étoile un oiseau peut-être une frondaison d’arbres hauts dans le champ de vision peut-être une couleur qui se lève ou qui tombe une pluie un orage je veux cet instant raconter le seuil du ciel lorsque les clignements s’allongent prennent le pouvoir le temps ne sait plus tenir ses pulsations lorsque
Je veux saisir retenir la chaleur sur ma main ronde immense des corps ici endormis et pourtant des mains se tendent appellent et dansent les corps endormis de leurs mains et leurs doigts saisissent la mienne une chaleur vieille des âges sans lettres des âges aux voix oubliées des accents inconnus ritournelles dansent les mains et la mienne avec emportée plus loin déjà
Je veux saisir la justesse du mouvement l’ultime mouvement il est juste ce mouvement forcément dicté par mais par quoi ce mouvement comme il vient le garder ce savoir du corps qui s’en va là-bas avance un coude qui se plie une main qui se ferme un regard qui se tourne vers l’intérieur la justesse est dans l’intérieur du mouvement un déplacement intérieur une affirmation du corps en dedans un soupir puis
Je veux saisir l’oubli qui vient retenir l’instant précis ou une chose devient oubli devient le vide devient le coup de vent cet instant fou ce moment lorsque le seuil avale ce qui est mâche une chose qui oublie elle-même ce qu’elle était ce qu’elle fut cet instant de rien ou tout se dissout lorsque l’infiniment petit digère les grandes choses le fauteuil à écrire la fenêtre à rêver l’arbre à dormir prennent la forme de l’oubli quand
Je veux saisir sur cet ultime seuil le monde avec moi l’emporter caché dans une poche invisible au seuil et aux corps endormis et aux mains moites qui dansent et ferment les yeux je veux saisir le monde et le chuchoter aux corps froids cachés sous les terres du seuil garder à jamais une main dans la poche malaxer le monde entre deux doigts en prélever des morceaux infimes morceaux que je placerai un par un dans les bouches asséchées autour, raviver les papilles engourdies d’un parfum d’une lumière d’une pluie de pain et d’œuf d’une poussière d’un soupir je veux saisir l’instant précis où