Nuit Debout, après les Indignés, Occupy, est symptomatique d’une lassitude et d’une colère profonde face au fonctionnement de notre société et au doute quant à la capacité des gouvernants de modifier cet ordre des choses. Il s’agit là à la fois de la démonstration d’une envie tout aussi profonde de faire de la politique, d’intérêt pour les affaires de la cité: discuter, débattre, proposer, dans des espaces collectifs auto-régulés où chaque voix importe autant. Et tout cela va bien au-delà de la Loi Travail. Il suffit de discuter quelques instants au café, avec l’ingénieur, l’ouvrier, l’autoentrepreneur, le chômeur, l’étudiant pour s’en rendre compte. Alors oui, du désordre sur les places, du désordre à rester éveillé les nuits, poussant le mois de mars vers ses 40èmes rugissants.
Les pouvoirs publics ne sont pas dupes de ce malaise généralisé. Mais lorsqu’on ne trouve pas les réponses il est sans doute plus facile de minimiser que d’avouer être désarmé.
De l’État ou des territoires
Une des difficultés fondamentales pour entendre ces mouvements de colères enthousiastes, tient à l’échelle de la revendication. S’adresse-t-elle uniquement à la politique conduite par l’Etat, pilotée par les partis? Ou s’adresse-t-elle à la classe politique dans son ensemble? L’occupation des places envoie-t-elle des signaux à un gouvernement, à des chefs de partis, au Parlement? Ou est-elle destinée aussi aux politiques qui font les territoires, les villes, les villages, partout?
Ces échelles sont naturellement imbriquées, le local, le global, le territoire, la Nation. Mais qui doit ou peut répondre aux questions posées sur les pavés, sous la pluie, poussées par un vent nouveau?
Qui es-tu?
Nos institutions ne savent pas parler au peuple se réappropriant l’espace public. Qui est l’interlocuteur? Qui l’a élu? Que représente-t-il? Ah la représentativité… Ils sont là, ont envie de faire de la politique, n’est-ce pas suffisant? Nos élus, le sont parfois avec plus de 50% d’abstention, recueillant quelques dizaines de pourcentages de votes exprimés. La représentative est souvent très relative: inutile de se voiler la face. Les Nuit Debout ne sont pas syndicat, non plus association, ne sont décris par aucun texte ou règlement, n’existent pas au Journal Officiel. Les Nuit Debout – et avant les autres – sont des OPNI: Objets Politiques Non Identifiés. Ils sont liquides en ce que la parole n’a jamais la même voix ni le même visage, vivent en vagues nocturnes, se déplacent en différents rivages – places symboles des agoras d’antan, fantasmées parfois un peu. Ils sont à la fois le tout et le rien.
Beaucoup de questions
Comment alors donner une place aux OPNI dans la vie démocratique? On sait, à peu près, faire vivre la concertation autour d’un projet donné, d’un territoire donné. Mais comment construire des espaces de dialogue dont on ne cerne clairement ni le périmètre, ni l’objet? Comment instaurer un échange dont on ne connaît ni d’un côté ni de l’autre les règles du jeu? Comment coconstruire quand on ne partage aucun code: du vocabulaire, au regard en passant par les réalités du quotidien?
La démocratie au petit jour
N’est-il pas temps de saisir la balle au bond? D’oser prendre le risque de l’inconnu? Élus locaux, allez passer une nuit debout, invitez les noctambules de la démocratie dans vos instances locales: conseils, commissions, … Faites le premier pas. Écoutez d’abord, posez des questions, nourrissez-vous. Parce que l’envie de débattre, de s’engager est là, l’envie d’inventer des choses nouvelles est là. N’ayez pas peur, oubliez vos habitudes. Ouvrez grands les portes et voyez ce qui pourrait naître. L’innovation territoriale, l’innovation sociale sont des mots écrits noir sur blanc dans vos projets de territoires. Peut-être l’innovation est-elle juste là sur la place publique, cueillez-là, cultivez-là. Peut-être en sortira-t-il des bouleversements. Peut-être en sortira-t-il des convergences. Il en sortira à coup sûr un mieux, aussi petit soit-il, pour la res publica car plus elle est est partagée, plus elle a de sens.
Nuit Debout, regardez partout tout ce qui fait politique, né d’initiatives populaires: monnaies locales, repair café, cafés citoyens, Alternatiba, fermes urbaines, … Elles sont des milliers, sont portées par les mêmes envies de belle politique, font bouger les territoires, prouvent que l’avenir peut s’écrire dans le collectif et dans le local. Elles ont aussi besoin de plus de forces, de bras pour se déployer, essaimer toujours un peu plus. Elles sont debout. Elles ont besoin d’être en réseau, d’être toujours plus visibles, de s’ancrer dans le paysage, d’affirmer leur poids citoyen. Alors oui, ça ne changera pas, au petit jour, les institutions, la démocratie représentative telle que nous la connaissons. Le monde change, en lueurs diffuses, ici et là. Des 40èmes rugissants au petit jour, il y a la nuit, les étoiles, la lune tournée vers demain et partout chacun de nous.