Le 4 décembre, Ali Magoudi, psychanaliste et auteur est venu à la rencontre du public du Trianon Transatlantique de Sotteville les Rouen pour une grande discussion autour de son livre paru cette année aux éditions de La Découverte « N’ayons plus peur! Enquête sur une épidémie contemporaine (et les moyens d’y remédier)« .
Ali Magoudi a écrit sur le temps, les hommes politiques, son père… et la psychanalyse évidemment. Toujours, sa plume donne de la place à l’humour et l’autodérision. Quelques conseils de lecture dès maintenant:
- Quand l’homme civilise le temps – 1992, La Découverte
- Un sujet français – 2011, Albin Michel
- Comment se débarrasser de son psychanalyste, 15 scenarios possibles, plus un – 1988, Seuil
Ce livre, au premier abord, il m’a fait peur. Ecrit par un psychanaliste! Me serait-il possible d’y comprendre quelque chose?? Après l’avoir lu, j’étais rassurée. Son écriture est faite pour le grand public. J’ai même pensé à Umberto Eco, vous savez son fameux recueil de nouvelles « Comment voyager avec un saumon ». Ouf. Mais encore une peur. Serais-je capable de poser des questions à un homme érudit comme Ali Magoudi? Et là, quelle belle rencontre! Nos échanges par écrit en amont de la rencontre était simples et chaleureux. J’étais donc sauvée de mes peurs fantasmées.
« Où la peur paralyse la pensée »
Avec Ali Magoudi et le public nous avons discuté du rapport entre peur et danger en nous posant la question de notre capacité (ou non) à y intégrer la mesure du risque. Il a d’ailleurs évoqué notre Premier Ministre, Edouard Philippe, qui a dit récemment n’avoir pas peur des requins en politique mais avoir peur des requins au point de ne pas se baigner en mer… Nous avons également interrogé la notion de doute: terreau des peux parfois mais aussi vigoureux antidote qu’en il apporte auteur de vue et qu’il ne paralyse point celle ou celui qui s’y adonne.
« Où l’on signale qu’à son insu, un texte protecteur habite l’auteur »
Forcément, nous nous sommes arrêtés sur la religion. Non pas LA religion mais la religion de chacun, plutôt monothéiste dans son approche. Avec les textes fondateurs, les croyants sont invités à craindre l’Un, qui protège alors de toutes les peurs. Plus fort encore, l’explication des origines du monde et les perspectives de l’Après évite les angoisses existencielles: tout est organisé, limpide, prévu. Ça simplifie les choses! Mais aujourd’hui, la religion a dans la société (française) laissé place. Les lois ici bas ne sont plus celle d’un dieu mais celle du peuple. Et le peuple, n’explique pas le Début et la Fin. Le récit n’est pas au-dessus, il est d’ailleurs presque absent. Alors? On a peur. De tout et de rien. Des souris, des ascenseurs, du gluten, du blasphème, de l’absence, de l’avion, de la mort en somme (ajoutez ici la liste de vos peurs moi j’en passe).
« La peur est chez tous un facteur pernicieux de perte du réel »
Là ce n’est pas l’auteur qui parle mais Daniel Pennac. Parce que les peurs scolaires produisent les mêmes effets. Sous l’effet de la peur, la pensée se paralyse, rien de cohérent ne se crée, rien de cohérent ne se transforme et tout se perd, défiant ainsi les lois élémentaires de la physique!
« Où l’on repère de nouveaux rituels, indices supplémentaires d’une perte d’efficience des anciens discours protecteurs »
Alors l’individu se crée-t-il de nouveaux rituels protecteurs. Ainsi en va-t-il du gluten. Tiens, la chasse au gluten ressemble au rite religieux juif du Hametz… Chassez la religion par la grande porte, elle revient par la fenêtre augmentée des réseaux sociaux qui propagent haut et fort peurs et remèdes. Mais Ali Magoudi interroge aussi le rapport au religieux induit par la laïcité. La laïcité devrait affirmer les nécessaires indifférence et relativisme. Indifférence à la pensée de l’autre. Arrêtons-nous sur le blasphème. Ici Ali Magoudi évoque les attentats de 2015, notamment contre l’équipe de Charlie Hebdo. Dans la religion, le blasphème regarde le croyant et ses co-croyants. Il n’intéresse pas l’autre, celui qui se situe hors du corpus des croyances. Avec le discours sur le blasphème tel qu’il a été posé alors, c’est tout le corps social qui était exposé au blasphème. Non, la laïcité c’est l’indifférence à la parole, aux pensées de l’autre. Point barre. C’est aussi l’espace du relativisme: il n’y a pas de Vérité. Chacun ça vérité, dans l’indifférence à celle de l’autre et on devrait pouvoir s’entendre. A bon entendeur et une peur de moins dans l’espace public!
« Où circulent des propositions endogamiques dans le champ politique »
Et la politique alors, n’est-elle pas là pour proposer un imaginaire, une vision d’avenir capable de catalyser les peurs? Bonne question non? A l’heure d’une politique affirmée comme gestionnaire, de vision, on se passera donc bien. A la rigueur… Sauf que comme le dit Ali Magoudi, après Jean-Marie Lepen premier homme politique surfant sur les peurs, « Tous les partis, du coup, se sont positionnés sur le créneau de l’extension illimitée de l’empire des peurs. Chacun cherchant à réduire des phobies imaginaires, là où il serait nécessaire de déconstruire les fictions qu’elles constituent. »
Ali Magoudi ne livre pas la liste des 10 antidotes contre cette épidémie moderne des peurs. Mais, il propose un doux remède, au long cours…
« Reste à faire l’éloge d’une structure qui permet tous les métissages et, donc, d’aider à combattre toutes les peurs: celle de la langue et des langues. Car, dans leur immense diversité et leur commune humanité, elles charrient des milliers de références culturelles et religieuses accumulées depuis des dizaines de millénaires, qu’aucune évolution ou révolution ne saurait effacer du jour au lendemain. »
AMEN.