L’air manque ou bien il est trop sec. La sensation est désagréable en bouche. Ici, les gens, moi aussi, se mordent l’extrémité de la langue en marchant, sans savoir qu’il s’agirait un jour d’une question de santé publique consultations en hausse, exponentielle, désensibilisation et inflammation, pour saliver un peu on se mord puis on se tait. 2. Depuis l’ancien pont on devine derrière le brouillard peut-être un paysage ou on le voudrait là. Sous la rouille de l’ancien pont on sait les traces d’une carte dessinant l’autre rive. Les inscriptions ont été grattées, comme pour effacer l’existence d’un autre côté. 3. Au cœur de la ville, il y a une forêt. Impossible d’y ouvrir les yeux, ils sont bandés à l’entrée, avant même le sas. Vivez une expérience unique ! Ecoutez, sentez, touchez… 4. Aucun homme croisé dans la rue n’a entre 14 et 17 ans. 5. Le revers du col de son veston est vert émeraude, irisé. C’est à cela que l’on reconnaît le quartier d’où elle vient. Ailleurs, l’ourlet du pantalon est fine bande dorée, ou encore le bouton de la manche, un collier à porter par-dessus les vêtements, visible, des détails discrets. 6. On ne sait pas ce qui compte le plus, les grues à l’ouvrage ou l’immeuble qui verra le jour, probablement, leurs balais incessants dans le ciel sont l’architecture même de la ville, dansent car rien ne se fige il y a toujours à monter ou démonter, repenser flexibilité de la ville en perpétuelle adaptation, la grue oui est l’architecture. 7. Je chéris mon algorithme intérieur celui qui m’entraîne du square, carré de ciment où pans de mur font ombre quelques bancs brûlants le jour, près de chez moi et sans y penser marcher, place de l’Université y glaner quelques souvenirs ou m’y inventer un passé, revenir longer les anciennes berges y croiser l’oisiveté, m’assoir à ses côtés. 8. Chaque semaine, il faut bien passer à la banque carbone de son quartier. 9. Je suis allé au cinéma. Le plus proche est à moins de 3 minutes de chez nous. C’est toujours là que je vais. A vrai dire je n’ai pas le courage d’aller plus loin même si un film me tente. Non, je préfère être là près de chez nous. Je pourrais y aller les yeux fermés. Droite, 10 respirations (apaisées), droite avancer jusqu’à l’odeur celle qui pique un peu le nez mais je me suis habitué, l’odeur chaude de la laverie 15 pas puis gauche trois marches immédiates (descendre pas monter), voilà le cinéma. Il y avait la dernière fois un film de science-fiction. Je ne me souviens plus très bien de l’histoire. Il y avait un insecte et du sucre. 10. Les jours de grand chaud les haut-parleurs de ma rue diffusent le son d’un vent dans un feuillage. 11. Les frontières de la ville devraient être racontées, des deux côtés. 12. La fresque s’étend maintenant sur plusieurs kilomètres. Chaque personne vivant ici a ce droit : graver, coller, peindre, écrire. Il y a toujours du monde parce que ce sont toutes les histoires qui sont dites, déposées, amplifiées. Chaque mot, chaque trace peut prendre 1000 directions, à hauteur d’enfant, lignes bredouillantes, perchée l’échelle pour les plus aguerris, les temps se croisent, se chevauchent, toutes nos histoires tissées de cœurs, de rages. On en oublierait presque que c’est le mur. 13. Enlever ses chaussures. Agiter ses orteils. Poser un pied dans ce coin de terre. Poser l’autre dans ce coin de sol. C’est comme vivant, granulosité, imperfections, pas lisse, épaisseur, s’enfoncer d’un millimètre, sensualité. Cette sensation, réussir à la dire. 14. Je ne veux pas vieillir. En tout cas pas comme ça. Je suis passée devant un de ces bâtiments. Plus lugubres. Si un bâtiment pouvait avoir les épaules voûtés, c’est comme cela qu’il serait, comme celui-ci dans la ville. J’en ai vu d’autres. Ils sont identiques. Les fenêtres alignées sont un sourire renversé, édenté là où les stores sont levés. Les briques additionnent l’âge de leurs résidents en rides craquelées offertes aux passants, on n’a faut croire même pas de quoi injecter de quoi ravaler la façade de quoi faire illusion, longer la porte d’entrée c’est sentir un air chaud remonté d’entrailles usées. 15. Ici on mange où on veut quand on veut, il n’y a pas de règles, ni d’horaires, ni de code vestimentaire. Partout on peut manger, dans la rue, surtout dans la rue. Il y a des vendeurs, des étals, aux croisements, aux arrêts ils surgissent de nulle part. Manger n’a jamais autant été synonyme de liberté que dans cette ville. Pourtant, tout est soigneusement comptabilisé. 16. La ligne 8 dessert l’ensemble des secteurs consacrés à la fonction T. Pour passer le temps, s’amuser à deviner l’occupation de chaque personne installée dans son wagon. 17. J’ai connu mon arrière-grand-mère. Elle parlait sans cesse de son jardin comme s’il occupait tout l’espace entre ses mains, comme s’il était tout ce que ses yeux embrassaient, comme si son esprit était un parterre de fleurs sous un chêne séculaire qu’il fallait atteindre en longeant un chemin aux bordures sucrées de fraises et de mûres. Elle nous racontait, comme on faisait la sieste sous son chêne.
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