Là-bas je regardais plus souvent la lune, ou mieux. Comme si le changement de mes coordonnées physiques changeait aussi mon regard. Je la scrutais avec l’impression de la voir plus grande. Son disque prenant plus de place dans ce paysage-là. Ses cratères plus épais et présents, profonds. Sa courbure à portée de mes mains. J’étais dans le jardin. J’attendais que toutes les lumières à l’intérieur soient éteintes. J’attendais notre tête-à-tête. Parfois quelques étoiles s’invitaient, sans compter vraiment. J’attendais son silence. J’attendais que la nuit balaie mon visage d’un air plus frais.
Là-bas je préservais, avant chaque rendez-vous, une demi-heure. Je m’asseyais à une terrasse non loin. Je commandais un café. Sans lait. Sans sucre. Souvent un jus d’orange frais aussi. Je prenais un livre mais le véritable livre que j’ouvrais, que je tentais de comprendre, c’était la vie qui passait autour. J’avais sans doute les yeux grands ouverts. Les oreilles aux aguets. Un mammifère déplacé qui cherche des repères. J’écoutais autant les talons sur les pavés ou le bitumes que les voix, les accents que je commençais à distinguer. Je regardais autant les visages que les feuillages des arbres, en ombres régulières le long des rues. Les dernières gorgées de mon café étaient toujours froides. La vie passait vite. J’étais avec ma tasse et mon verre dans un espace-temps qui frôlait le monde, frôlait seulement.
Là-bas j’écrivais. J’ouvrais des carnets. Je tentais d’avoir une écriture appliquée puis les lettres se tordaient dès la cinquième ligne. Je plaçais un vinyle brillant sur la platine alors je n’écrivais plus. Je dansais lentement en gestes amples qui gravaient dans l’espace les mots indicibles d’un corps temple et forteresse à la fois. Je moulais du café que je respirais avec gourmandise imaginant les hauts plateaux d’un autre ailleurs où les grains récoltés après un brouillard matinal sont jetés à sécher sur d’épaisses toiles de jute. Je patientais le stylo à la main, que l’eau à peine bouillante s’imprègne des arômes. Je me demandais ce qui pouvait manquer à l’instant. Rien.