Chronique rédigée et lue pour le podcast l’Olympiade femelle (à 26’10), épisode du 1er décembre 2019.
« Laurence, Juliette, Louisa, Aurélie, Titi, Jacqueline, Siham, Vanessa, Claire, Clélia, … Toutes ces femmes évoquent un rapport tumultueux au sport et en fait à leur corps. Comme je me reconnais dans leur parole ! Mais ce n’est pas de moi dont j’ai envie de parler, je vous rassure tout de suite. Ce que j’ai relevé dans les témoignages que j’ai lu, c’est qu’il y a toujours dans leur parcours un temps d’arrêt. Enfants, le sport est présent, imposé ou choisi. A l’adolescence ou à l’heure des études supérieures, souvent le lien se distant. Et puis plus tard, un heureux déclic intervient. C’est de rencontres ou de retrouvailles que ces femmes parlent. Une reconnexion à son corps, corps et âme d’ailleurs.
Mais c’est sur ces temps de rupture que j’ai envie de m’arrêter quelques instants. Pourquoi, dans ces parcours de vie, le sport disparaît-il ? Les facteurs sont multiples, certains sont évoqués dans les interviews. Il y a aussi des facteurs structurels liés aux espaces urbains. Oui, la ville est faite par et pour les hommes, c’est d’ailleurs le titre d’un petit livre d’utilité publique écrit par un homme, on l’excuse, Yves Raibaud, géographe du genre. Il travaille aussi beaucoup sur les pratiques sportives en milieu urbain. Grâce à une étude menée dans la région bordelaise, il a pu montrer que les ¾ des dépenses publiques dédiées aux sports et loisirs profitent principalement aux garçons : skate park, city stade, salles : ces aménagements urbains continuent à placer le masculin au cœur des pratiques sportives, tout comme la cours d’école encore trop souvent place le terrain de foot au centre tandis que les filles s’occupent en marge et esquivent les ballons. Et à l’heure de l’adolescence, on (derrière ce « on » il faut entendre l’inconscient collectif de notre société), on incite les garçons à se défouler en occupant le monde et l’espace à travers le sport et on encourage les filles à comprendre le monde dans l’intimité de la lecture de chambre.
Des aménagements conçus pour des pratiques dites masculines d’une part, une orientation différenciée dedans/dehors d’autre part mais il y a aussi le rapport féminin au temps. Non pas par essence, mais par contrainte. Vous la voyez venir la charge mentale ? Elle aussi, freine les pratiques sportives… Une des femmes interviewées sur le site Gogirlz mentionne la nécessité d’avoir accès à un lieu avec une plage horaire très ouverte pour pratiquer. Entre le boulot, les enfants, le chez soi, etc la pratique sportive d’une femme est souvent planifiée comme rien de moins qu’une stratégie.
Le temps,
Et l’argent. Là encore, les femmes interviewées sont plusieurs à mentionner le harcèlement de rue lorsqu’elles courent. Nombreuses sont celles qui se rabattent sur les salles de sport qui restent un luxe… Sans moyen financier, l’espace public est le seul terrain de sport possible. Il est sereinement praticable le jour, et encore. La nuit, celle du petit matin ou celle du déclin du jour n’est que très peu accueillante. Là encore, la saisonnalité freine les femmes, moins nombreuses à courir en automne et en hiver.
Ok, ce tableau que je dépeins peut sembler un brin pessimiste mais… je retiens des témoignages de go girlz ces femmes qui évoquent leur rencontre, grâce au sport, avec leur propre puissance. En vrai, nous n’avons pas besoin de sport pour être puissante mais bien souvent il est un détour utile pour entrer en contact avec elle, la ressentir, l’expérimenter. Et lorsqu’enfin on la connaît intimement, c’est tout notre rapport au monde qui change, et cet instant est d’une beauté inouïe et puissante. »