Il hésite. Ça se lit sur son visage il hésite. Le sourcil épais dessine une vague d’incertitude au-dessus de ses yeux qui semblent ne rien regarder. Sa mâchoire a perdu l’arrondi des jours d’insouciance les dimanches surtout quand il n’a pas à tendre le bras vers son téléphone qui vibre et les jours où il n’a pas à rendre son rapport sur l’activité de la chaîne de montage qu’il supervise. Depuis 17 ans déjà. Sa mâchoire se dessine d’angles soucieux parfois sa bouche se tord. Quelques infimes instants comme réponse mutique à ce sourcil sombre. Il hésite. Il veut crier non. Il veut crier non en silence. Il ne sait pas qui pourrait ou voudrait écouter son silence. A lui. Le sien. Il se demande qui. Il se demande comment. Au boulot à travers la vitre il sait que son regard suffit. Rien à dire. De toute façon le bruit empêche les voix. Son regard il le sait c’est tout un alphabet. Son regard a des accents. Son regard est une ponctuation. Une ponctuation complexe. Son regard c’est un roman. Il le sait parce que ses collègues le lisent et lui disent. Dans tes yeux j’vois l’histoire de la boîte et les objectifs d’la semaine. Peut-être est-il leur seule littérature. Quoique. Un jour au vestiaire il a vu un bouquin posé là sur le banc y’avait écrit Poésie. Il était à un jeune un nouveau. Pas qu’il avait encore le corps leste mais qu’il était arrivé depuis peu. Un an à peine. C’est dire. Poésie. Il se demande si sa poésie va l’aider à le lire lui et ses yeux et son regard qui dépose une langue épaisse lourde pesante sur leurs gestes quotidiens. C’est comme ça il hésite et son esprit en profite s’en va ou retourne au boulot au travail mais quelle vie. Le problème ce n’est pas son regard et ses mots. Il le sait. Il en a des certitudes. Oui. Il ne faudrait pas croire que son hésitation est état d’incertitude. C’est juste que les arguments les siens se livrent âpre combat. Une joute à l’ancienne. Un argument déboule au galop en armure lance pointée tout devant prête à harponner l’argument adversaire. Et l’autre qui feinte et approche glaive tendu. Il aime le Moyen Âge. Les films surtout. Depuis qu’’il est enfant. Sa mémoire est joueuse. Il ne retrouve pas le déclic. Le premier truc. L’instant magique. La bouche bée. La chaire de poule. Les yeux grands. C’est comme ça une passion. Les livres aussi. Les livres historiques. Les chevaliers. Les pont-levis. Les bougies. Les dents abîmées. La peste. Le luth et la flûte. Il hésite. Si personne ne voit ses yeux. Si personne n’écoute son silence. Il voudrait que son cri d’en-dedans pèse. Lourd comme. Comme ce qui ne doit jamais tomber sur un orteil nu un matin avant le jour quand le pas est hésitant. Lui aussi hésitant. Il écoute tous les gens autour de lui. Ils en parlent eux-aussi. Pas du Moyen Âge ni de ses yeux. Il faut s’unir pour dire non. Mais il faut aller le dire chacun seul caché d’un petit rideau une enveloppe à la main. C’est moche. Il voudrait que son absence soit son non à lui. Il voudrait que l’absence de son corps et des autres crée un vide immense aussi grand que ce regarde un télescope dans le lointain. Ca paraît minuscule à l’œil nu mais en vérité c’est plus grand que tout ici-bas. Il hésite. La nature a horreur du vide. Il la connaît celle-là. La petite phrase qui se déguste à toute les sauces. Il hésite parce que personne ne sait ici à quoi ressemble un extrême vide. Il hésite. Il déteste cette hésitation. Il voudrait l’enterrer ou l’écraser du pied. Comme celui chaque matin quand il arrive dit salut en écrasant toujours du pied sa cigarette. Comme si le mot salut était une extension du geste du pied. Comme si salut était un mouvement du pied. Un mouvement pour le matin et pour lui qui le croise. Il hésite. Encore. Encore. Encore.
Avr
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