Toutes les photos: Jean Pierre Sageot
Nourrir le monde, une ambition partagée
« Nourrir le monde, une ambition partagée », tel était l’intitulé des 2èmes Rencontres « Entreprendre avec l’Afrique du XXIème siècle » organisées les 21 et 22 octobre dernier dans l’Eure. Quelles sont les conditions de réussite de partenariats agricoles et dans l’agroalimentaire? Quelles filières bâtir ou consolider? Quelle place pour le numérique dans la mutation des agricultures africaines? Telles étaient les questions posées aux nombreux intervenants. Entrepreneurs, acteurs institutionnels, élus ont partagé leurs points de vue, ont mis en évidence des synergies, à l’occasion de tables rondes et de temps de mise en réseau.
« je reste convaincu que la question agricole déterminera le succès ou l’échec des stratégies de développement économique durable et de traitement de la question de la sécurité alimentaire en Afrique »
Kabiné KOMARA, ancien Premier Ministre,
Président de l’Organisation pour la Mise en Valeur du fleuve Sénégal
J’ai eu le plaisir d’animer ces journées. Que de rencontres, que de propos encourageants! Il est toujours compliqué de résumer deux journées de débats en quelques lignes. Je vous livre donc ici quelques idées-clé…
Les conditions pour réussir ensemble
Pour cette première table ronde, j’avais à mes côtés un panel de haute qualité:
- Guillaume BENOIT, Président du groupe de travail sécurité alimentaire du Partenariat français pour l’eau ;
- Daouda BERTE, Directeur du Développement Rural et des Infrastructures de la Banque Ouest Africaine de Développement ;
- Jean-Pierre DUHAMEL, Directeur Général de l’entreprise SIA ;
- Adeline LESCANNE, Directrice Générale de l’entreprise Nutriset ;
- Tamsir NDIAYE, Directeur Général de la SOGED.
Les intervenants sont unanimes, il est indispensable que les États construisent de réelles politiques publiques de développement des agricultures, avec une ambition de développement intégré : engager une mutation agricole, c’est repenser l’aménagement du territoire, les infrastructures de déplacement, les bassins d’emplois et donc d’attractivité, la santé, la place des femmes, c’est revaloriser des filières à fort potentiel, …
« il faut repenser le monde agricole dans toutes ses dimensions. Il faut relier les questions agricoles aux questions environnementales. C’est une révolution doublement verte : on ne peut faire du développement sans la valorisation des écosystèmes, et sans passer par la question du réchauffement climatique. L’enjeu est de produire davantage en gérant mieux les écosystèmes »
Guillaume BENOIT
Le Partenariat français pour l’Eau porte et accompagne des programmes qui portent des fruits : SESAM, Cap pour 1000, … Autant de dispositifs qui misent sur le principe d’une agriculture écologiquement intensive et sur la conviction que la réduction de la pauvreté passe d’abord par une sécurité alimentaire atteinte par le respect des ressources. En effet, c’est toujours et avant tout de développement humain dont il est question !
La vision de long terme doit aussi être portée par les opérateurs économiques. En cela, les groupes familiaux semblent peut-être plus adaptés : l’absence d’actionnaires à rémunérer conforte les démarches qui se construisent dans des pas de temps longs. C’est ce que vit au quotidien Adeline Lescanne. Au fil du temps, c’est avec des entreprises familiales qu’elle construit des partenariats solides et efficaces.
L’agriculture ne doit pas être uniquement pensée en tant qu’acte de production. Bien au contraire, parler de développement agricole doit s’entendre de toute la chaîne de valeur autour des étapes-clé que sont :
- La production
- La transformation
- La commercialisation
Structurer l’ensemble de la chaîne implique de poser un certain nombre de questions et d’y apporter des réponses :
- Quelle offre de formations adaptée (initiale & continue) aux compétences requises dans cette chaîne de valeur ?
- Comment articuler agrobusiness et agriculture familiale, toutes deux nécessaires au développement ?
- Comment préserver les ressources (sols, eau, biodiversité, …) tout en intensifiant la productivité ?
- Comment accompagner la mise en débouché des productions par la structuration de marchés interétatiques régionaux ?
« On trouve des docteurs en nutrition mais pour la mise en place des usines, on a du mal à avoir et garder de bons techniciens »
Adeline LESCANNE
Des exemples nombreux existent sur le continent et mériteraient d’être dupliqués ou d’inspirer les opérateurs publics et privés. Le travail autour du « riz de la vallée » au Sénégal, des produits du terroir au Maroc (coopérative regroupant 14 000 petits producteurs dans la région d’Agadir) en sont la preuve.
« L’enjeu majeur c’est celui de la transformation. Et pour la transformation, il faut de l’électricité ! Le continent pourrait être autonome en électricité renouvelable »
Jean-Pierre DUHAMEL
La question du financement reste centrale et incontournable. Sont pointés du doigt :
- La difficulté d’accès au crédit pour les producteurs, notamment les plus petits d’entre eux,
- Le coût des prêts bancaires, souvent de 9 à 12%,
- L’absence de système de garanties généralisé.
Ces investissements sont importants pour pouvoir atteindre les critères de qualité imposés pour entrer sur les marchés agricoles à l’international. Il est à noter que la BOAD articule sa politique autour de la préservation de la ressource en eau et concentre une partie de ses interventions sur la question de l’adaptation au changement climatique.
« Nous avons mis en place un dispositif d’assurance dont les agriculteurs peuvent bénéficier lorsque des seuils sont atteints en terme de pluviométrie par exemple. Par ailleurs, nous bonifions des prêts lorsque la gestion des ressources est adaptée aux évolutions climatiques »
Daouda BERTE
Néanmoins, les intervenants soulignent que la capacité d’investissement est bel et bien présente sur le continent. En témoignent les expériences de l’entreprise SIA au Tchad ou au Congo Brazzaville : des investisseurs jeunes qui créent des milliers d’emplois directs et indirects.
Des opérateurs privés ont les moyens d’investir dans l’agriculture, encore faut-il que ce secteur soit rendu attractif par des politiques d’accompagnement. En Côte d’Ivoire, des partenariats entre l’Etat et les entreprises ont permis d’atteindre des résultats probants dans la filière du coton par exemple.
Autre levier important, celui de la mutualisation. C’est la voie choisi par l’OMVS : des infrastructures certes coûteuses initialement mais mutualisées, avec des clés de répartition finement choisies : le partage et le faire-ensemble pour être plus fort collectivement tout simplement!
La question du financement, c’est aussi celle de savoir dans quelle mesure les importations doivent ou peuvent être régulées. C’est aussi interroger les systèmes de taxations disparates qui complexifient les investissements étrangers.
« Il faut diminuer les importations pour créer des richesses et des emplois locaux »
Tamsir NDIAYE
Réussir ensemble, c’est nouer des partenariats durables, dans le temps mais aussi dans leur soutenabilité. C’est s’appuyer sur des réseaux, c’est faire preuve de souplesse, de flexibilité et de capacité d’adaptation. C’est travailler autour des principes de coopération et de mutualisation. C’est renforcer les compétences locales.
Avec Jean-Hervé LORENZI, Président du Cercle des Economistes et Grand Témoin des Rencontres, le panel d’intervenants partagent un rêve dont un retient son attention : la structuration d’une filière particulièrement porteuse en termes de marchés en Europe : celle du soja.
Des domaines de coopération à bâtir ou consolider
Cet après-midi du 21 octobre était consacré à des échanges BtoB, organisés autour de présentations minutées d’activités dans les champs de l’agriculture et de l’agroalimentaire. Après 6mn de prise de parole devant l’ensemble de l’assemblée, des rencontres directes entre les 10 invités des rencontres et le public ont eu lieu.
- Filière du maraîchage et des fruits :
- Bertille GUEBEGDE, cheffe d’entreprise de transformation d’ananas au Bénin,
- Frédéric PERRIN, Directeur général de Labeyrie Traiteur et porte-parole de l’Alliance française pour une huile de palme durable en France (Normandie),
- Ganiou SOGLO, chef d’entreprise de production de palmiers à huile au Bénin,
- Gaëtan ETANCELIN, Vice-Président National de l’Agriculture Biologique et Directeur de l’huilerie Melville à Madagascar.
- Filière du cacao :
- Jérôme DERREY, Responsable Recherche et Développement opérationnel de l’entreprise Barry Callebaut en France (Normandie).
- Filière de la pêche :
- Jacques DATTE, Secrétaire exécutif du régime franc en charge des entreprises de conserves du thon du Ministère des ressources animales et halieutiques au Sénégal.
- Filière du coton et des oléagineux :
- Pierre-Henri TEXIER, Administrateur d’entreprises agricoles en Afrique,
- Luc LOCO, Dirigeant d’une entreprise de production et de transformation de noix de cajou Bio & commerce équitable au Bénin,
- Stéphane YRLES, Secrétaire général du groupe Avril en France,
- Abba TOURE, Directeur de Geo Orognis Consulting.
Le numérique au cœur des mutations agroalimentaires
Le développement de l’agriculture, pour des partenariats gagnant/gagnant, doit s’emparer, et s’empare déjà, des opportunités de la transformation numérique des sociétés. Pour en parler, six invités :
- Serge DELEAU, Co-fondateur de la start-up Visio-Green,
- Christian KAMAYOU, Fondateur de MyAfricanStartUp,
- Justin KOUAKOU, Chef de projet M-Agriculture Afrique & Moyen-Orient pour Orange,
- Charlotte LIBOG, Fondatrice de la plateforme Afrique Grenier du Monde,
- Philippe LLAU, Directeur Grands Comptes & Partenariats d’Eutelsat (filiale BroadBand4Africa),
- Christian MION, Ingénieur auditeur & consultant chez EY.
Numérique & agriculture : les mutations sont engagées
L’Afrique francophone est moins engagée dans la transformation numérique que l’Afrique anglophone. Ce constat est l’occasion de s’interroger sur les modèles juridiques, techniques, politiques qui ont présidé à l’organisation de l’agriculture, de ses filières et de sa chaîne de valeur en général… Néanmoins les changements sont amorcés avec des impacts forts : accès à des formations en ligne, accès aux informations de prix sur mobile, etc.
« L’Afrique est dépendante de l’extérieur pour sa sécurité alimentaire. Le numérique via le mobile notamment est un outil-clé pour accéder à l’information, aux financements, pour faciliter les investissements dans toute la chaîne de valeurs »
Charlotte LIBOG
Le numérique permet aussi de changer le regard sur l’activité agricole : l’agriculteur devient entrepreneur agricole et prend une autre dimension. Ces nouveaux entrepreneurs s’emparent du numérique pour se faire connaître et développer la commercialisation de leurs produits : La Laiterie du Berger, Biotropical en sont des exemples. Le numérique est un atout pour libérer la créativité des entrepreneurs : dans son palmarès MyAfricanStartUp, Christian Kamayou a ainsi retenu une quinzaine de start-up dans la filière agricole (plateforme de mise en relation d’opérateurs, financements, …).
« L’Afrique a fait des sauts technologiques. L’Afrique expérimente des solutions qui sont répercutées ensuite en Europe, comme le paiement par mobile. La jeunesse a de l’appétit, il y a de nombreuses start-up, la diaspora investit et revient en Afrique, créé des fonds d’investissements. C’est une force de frappe importante »
Christian MION
Des solutions nouvelles pour répondre aux besoins des agriculteurs
Les entrepreneurs ont besoin de se connecter entre eux, de se connecter avec les acteurs de leur filière en amont et en aval pour consolider leur chaîne de valeurs, sécuriser les approvisionnements et les débouchés. Autre besoin largement souligné, celui d’un fonctionnement collaboratif : pour l’accès au réseau, pour du plaidoyer, pour être plus forts sur les marchés. Le numérique peut jouer un rôle prépondérant. En témoigne la plateforme Mlouma au Sénégal.
« Nous avons mené une étude en 2010/2011 pour identifier les attentes des agriculteurs : améliorer les revenus, écouler les productions, accessibilité au réseau en milieu rural, formation, productivité, sécurité sont au cœur de leurs préoccupations »
Justin KOUAKOU
l’enjeu des infrastructures de réseau
Pas de révolution numérique de l’agriculture sans le déploiement des réseaux. Fibre optique ou satellite, l’ensemble du territoire, et en particulier les zones rurales, doit être couvert. C’est l’ambition d’Eutelsat. En 2020, un satellite dédié au continent sera opérationnel. Le déploiement de hotspot WiFi est par ailleurs en cours, en partenariat avec des opérateurs de télécommunications.
« Notre technologie satellitaire doit être complémentaire des autres. La mutualisation doit être importante pour rendre accessible les technologies à l’ensemble des opérateurs de la chaîne de valeurs agricole »
Philippe LLAU
les solutions d’aujourd’hui & de demain
Les solutions numériques peuvent naître sur le terrain mais aussi ailleurs, en France en l’occurrence. C’est le cas de Visio-Green, start-up normande d’objets connectés pour l’agriculture.
« La solution Visio-Green mise sur les nouveaux réseaux bas débit, plus simples que le GSM : pas besoin de SIM & avec une consommation d’énergie moindre. On peut brancher des sondes (températures/pluviométrie/…), à des coûts moins élevés que le GSM. Les données peuvent ensuite être remontées via le BIG Data visant la modélisation de solutions de gestion des parcelles »
Serge DELEAU
L’émergence de solutions nouvelles sur le continent nécessite de soutenir les entrepreneurs du numérique : incubateurs, financements, mécénat, parrainage sont encore à développer. Orange est entré dans la dynamique avec ses Orange Fab, structures d’accompagnement déployées dans plusieurs pays ainsi qu’avec son prix de l’entrepreneuriat qui finance et accompagne des entrepreneurs sélectionnés sur dossier.
« Les entrepreneurs africains que je rencontre sont confrontés à des obstacles majeurs : le manque de solutions d’accompagnement et de visibilité car les médias ne parlent pas assez des initiatives et des jeunes qui les lancent »
Christian KAMAYOU
La question de la révolution numérique dépasse les seuls enjeux agricoles. Christian Mion soulignera ainsi que le numérique est un formidable outil de mise en mouvement de la société civile qui de plus en plus demandera des comptes aux pouvoirs politiques sur la pertinence, l’efficacité des politiques publiques, agricoles ou non. Miser sur la jeunesse, compter sur le levier de la diaspora, formation aux enjeux et opportunités du Big Data, soutenir l’entrepreneuriat féminin, repenser les politiques publiques, assurer l’accès du plus grand nombre aux réseaux numériques, tels sont les points qui seront mis en exergue par les intervenants, répondant à « la dernière question » de Jean-Hervé LORENZI, Président du cercle des économistes et Grand Témoin des Rencontres.
[…] édition des Rencontres “Entreprendre avec l’Afrique” en ces 4 et 5 octobre 2018. Dans la continuité de la précédente édition, c’est le sujet […]