Hypothèses :
-
Des couleurs comme mots
-
La bouche pleine
-
La bouche vide
-
Le cœur inondé
Des couleurs comme mots
Elle aura un matin regardé le soleil jusqu’au soir le lever le coucher le zénith, elle aura capturé de ses doigts de ses yeux le nuancier des lueurs et des arbres des oiseaux et des toits des fleurs et des insectes, elle aura retenu leur carapaces irisées une palette vivante des chemins des sentiers des pas leurs traces dans l’herbe et dans le blé, elle aura écouté les couleurs du vent contournant les collines les mares les pigeonniers alors elle aura dans ses paumes emmagasiné les bleus du ciel et de la nuit, les rouges du feu coquelicot, les verts des fruits à mûrir de l’herbe piétinée, elle aura au bout des doigts conservé l’ocre du mur dans la lumière montante, le jaune de l’astre le reflet, elle aura décidé pour elle, rien qu’pour elle, d’avoir pour langue des pigments, pour syllabes tonalités, pour mots des couleurs.
La bouche pleine
Chez la grand-mère elle aura grignoté les biscuits du garde-manger et n’aura pas répondu aux questions qui sautent une génération et tombent à côté. Chez la grand-mère, elle aura dégusté les plats mijotés, longues heures à essayer de trouver l’ingrédient, celui-là même, oui celui-là, ce goût-là, ce petit je-ne-sais-quoi, elle ne sera pas allé raconter à côté, la bouche pleine, ça ne se fait, elle sera restée là, il y a toujours à saucer, à lécher la casserole et les doigts et la lèvre, elle aura préféré aux hypothèses la bouche pleine à chaque fois et ses doigts sur la toile ciré auront dessiné des bouches des raisins une soupe du pain un fromage un biscuit et un plat nettoyé.
La bouche vide
Elle aura subi, on le dit par ici, une grande perte, une ablation. Elle aura perdu un beau jour ce qu’il y a dans une bouche, normalement voyez-voir, une langue des dents un palais une glotte de la salive des postillons de la sagesse du lait des papilles des rots une haleine, elle aura tout perdu. Elle aura même avalé ses cordes vocales, une bonne fois de bonne foi, à jamais. Elle aura mis dans son cou le silence, douce écharpe, elle aura avec lui enveloppé sa bouche édentée. Elle aura appuyé ses mains sur le papier, gravé le vide en pleins furieux, agités, démultipliés, des cris au fusain.
Le cœur inondé
Elle sera restée des jours et des nuits sous la pluie. Elle aura attrapé de l’eau dans ses bottes, des gouttes dans ses poches, de la bruine plein l’échine et alors elle aura éternué, hoqueté mais là sous cette pluie de jours et de nuits elle aura bien senti la pluie pénétrer bien plus loin, son cœur inondé, ses veines en apnée. Elle aura réalisé son dedans d’un coup submergé, d’un coup englouti alors elle aura convenu dans sa flaque intérieure, dans son puits intérieur de ne pas dire ses orages, les contenir, elle aura préféré écoper ce qui se peut, sur le papier, sur les murs, sur le sol, peindre de l’eau de l’eau de l’eau.
Texte écrit dans le cadre de l’atelier Ecrire Clair – Hypothèse