Terre, béton, eau. En flaques l’eau surtout car c’est l’été ici. Une ou deux fois, je glisse un tout petit peu d’ailleurs. C’est qu’au chantier, mon équilibre tâtonne. En terre inconnue. C’est bien d’avoir un guide, je ne me sens pas complètement perdue. Alors j’écoute et essaie de comprendre, les idées, le cheminement d’un esprit qui bâtit. Cette diagonale qui se replit, étend le regard, offre et retient. Profondeur, ombre et lumière. Quelques marches plus loin et un monde dans le monde. La même enceinte, mais un autre espace. C’est vrai, ça marche!
Toujours la même lumière, des 4 cardinaux. C’est bien. Elle arrive en puits, en ligne, verticale ou horizontale, c’est selon. Si je penche la tête, fait un demi-tour sur moi-même. Partout elle arrive. Presque nulle part je ne peux m’amuser à regarder mon ombre se déformer. De toute façon, le ciel est gris, et il pleut; quelques gouttes alors je peux passer entre.
Regards. Perspectives. Ca me surprend, toutes ces lignes qui happent mon regard. Les formes géométriques s’enchevêtrent, de proche en loin, verticales, obliques, en à plat et à chaque fois, de tout côté, je trouve toujours un point d’horizon dehors. Les peupliers ou la colline, « elle est belle » dit-il à plusieurs reprises. Même la boîte en face, supermarché qu’il ne faut pas dénigrer parce que la forme ondulée est là depuis longtemps et pour longtemps. Plutôt que de la moquer ou la haïr, il faut lui répondre comme si on continuait une phrase qu’on avait, avant, d’autres, commencé à écrire dans le paysage.
Une radio qui bataille les décibels à la scie circulaire. Le dernier Daft Punk, au fond du trou. Bientôt des longueurs et des longueurs à la place. Des papillons et les autres. S’imagineront-ils les deux casques les plus célèbres au monde s’égosiller dans un bassin vide? Moi, c’est ce que j’ai vu. Tiens, oui, un concert au fond d’une piscine. Le public en haut, regarde comme dans une arène. Pouce vers le bas. Demanderait-il la mise à mort d’un des deux? Dead Punk.Un requiem, tout électro, et plein de remix.
Et la grue impterturbable qui doit nous prendre pour d’insignifiants micro-organismes emprisonnés au sol. Quelle vue de là-haut! Non? L’homme dans la bulle de verre, se doute-t-il qu’à cet instant je l’envie? Voir le monde de haut, à 360 degrés, ça aide pour se vider la tête?
Forme habitée, qui se construit à chaque instant. Un tout, complexe mais je l’entrevois, je l’imagine, je l’entend. Un tout sans hasard, que des choix raisonnés et pourtant je rêve un peu. C’est beau. Et ce ciré jaune, laissé au garde-corps. Et ce mégot de cigarette, une roulée, écrasé en face de la colline. Quelqu’un a du s’arrêter et la regarder en se disant « elle est belle », lui aussi. Et cette pelle, posée contre le mur, comme si elle voulait que je la regarde en me disant que tout de même ceci n’est pas une pelle. Plutôt une installation, qui me rappelle que je suis dans une oeuvre en cours.
Regarder où l’on met les pieds. Ne pas marcher sur les câbles! Du chauffage au sol. Alors forcément, ça me fait un peu vaciller sur mes deux jambes moi. Il ne faudrait pas que la gaffe vienne de moi. Je n’ose pas trop bouger car je sais être maladroite. Finalement, c’est comme quand j’étais petite. Sur le passage piéton, juste ne pas toucher le blanc. Sur la grande dalle de Val de Reuil, juste ne pas marcher sur les lignes, ou ne marcher que sur les bulles de goudron, surtout quand le soleil chauffe.
Il faut pour finir rendre le casque.
[…] Chantier #1 […]