Chaque mot fait un objet et une idée. Celui-ci fait aussi une promesse. Commencements possibles, premiers pas, nouveaux départs. C’est dans la main une sensation recherchée, celle de l’objet qui entre en relation avec la paume de la main des épousailles pour qu’une histoire se raconte ensuite. Croit-on.
Autour de lui il y en a d’autres, tranches de couleurs, tissu, cuir, pétrole transformé, papier qui doit glisser, sans ligne, sous les arabesques d’un bic ou d’un crayon à papier. Avortements successifs de mots de phrases de textes, de point final jamais, successions de pages barrées, passer à la suivante, l’espoir est peut-être une encre sympathique qu’on voudrait pour guide. Aucune chaleur n’y fait, le silence est une bise glaciale est une page nue.
Ratures, détester les ratures, vouloir des pages propres, définitives, vitales, parfaites. Recommencer un autre, une autre épaisseur, une autre taille, plus petit, plus grand, un tissu plus beau, du rose et du bleu, une couverture plus douce comme une peau contre la sienne que l’on tient dans ses mains un corps qui s’ouvre et ne devient que ce qu’on y déposera. Revenir en arrière, aux pages abandonnées les jours d’avant il faudrait trouver celui dont on ne pourrait voir la page passée qu’après avoir noirci toutes les suivantes, jusqu’à la dernière.
Ne pas vouloir se contenter de les empiler sur une étagère et pourtant les laisser à la merci de la poussière, sacrement de l’oubli, onction de ce qui n’est pas né. Nourrir cependant l’envie, d’un graal. Noir, épais, l’écriture serait noire, les lettres seraient puissantes comme jetées par nécessité, intensité, serrées, les mots seraient denses, les pages seraient lourdes, un numéro inscrit sur la tranche, 1 en blanc et en rang serrés ses compagnons, noirs eux-aussi, 2, 3, 4. Non, ils n’existent pas juste leur idée, vague lancinante.
Évidemment l’absence. Évidemment le vide. Évidemment le silence. Évidemment le stylo reste posé. Encapuchonné, l’encre a séché, combien de fois, tant. Et pourtant continuer dans les boutiques à les caresser, hésiter, renoncer, céder au fantasme ou à l’utopie de l’objet, du mot, de l’idée, ce serait bien cette fois-ci d’y arriver. Envers et contre tout garder l’entièreté d’un imaginaire de mots, d’écriture, s’y accrocher et se dire que ce jour de grand éclat, de lumière, d’une faim intense, de l’étagère le déloger parce que ce jour-là une poésie à naître ne sera pas avant la nuit enterrée, germera, grandira, alors l’écrire.
Tenir l’objet, honni à midi aimé quelques heures après, l’observer peut-il de lui-même s’animer, qu’il vienne alors chercher ma main, qu’il en extrait ces mots attendus, ceux de la personne qui écrit, qui est, qui crie, qui supplie, ils ont tous les leurs, valise pleine, coffre plein, étagère à ployer, ils sont beaux alignés empilés cornés agrafés. Tous ont leur histoire une date une année un lieu un commencement comme gravé dans leur simple matérialité et l’épaisseur des pages au-dedans même celles arrachées. Tribut laissé à l’exigence de la page suivante. Tremblement d’une première fois. Tout pourrait être là déposé, vertige et silence. Territoire inconnu steppe blanche lumière creuse vent dans les feuilles tombées, pâles. Tragiques flocons noirs flottent dans l’air sec et jamais sur le sol ne se posent en suspens attend ce paysage, un carnet.