L’art n’a pas vocation à la beauté. En tout cas pas à une beauté qui se définirait comme étant la forme d’une esthétique acceptée par le plus grand nombre, politiquement correcte. L’oeuvre d’art n’est pas un objet, beau, laid. L’oeuvre d’art a vocation bien au contraire à engager un dialogue, à sortir la personne qui l’observe de sa zone de confort intellectuelle. Elle nous interpelle et pour cela l’oeuvre peut jouer de ressorts innombrables. La séduction, l’étonnement, le questionnement, l’incompréhension pourquoi pas, la peur. Alors c’est là que le travail de l’artiste se révèle, parce qu’il modifie le « regardant », crée un avant et un après, suscite une idée, une pensée nouvelles. L’indifférence est sans doute le seul sentiment que craint l’artiste: un vide qu’il ne pourrait remplir entre l’homme et le monde.
Qu’une société, du moins un pan de plus en plus visible/actif/médiatisé d’une société, refuse d’accepter une esthétique autre que la sienne est symptomatique d’une crise profonde,où les valeurs ouvertes sur Autrui deviennent tristement evanescentes. On pourlait même extrapoler et appliquer le terme d’esthétique à des notions telles que l’image que se donne la société à travers la famille… Voyez-vous, une esthétique prédominante où le sexe devrait être un tabou, où l’humour devrait être polissé, où les pas de côtés seraient interdits et pourtant… on voit souvent tellement mieux en décalant le regard.
Il faut que l’art, au moins, soit présent partout et chaque jour pour nous bousculer, pour éviter que nous nous endormions, satisfait d’une esthétique sociétale de façade alors que les murs sont en lambeaux, qu’il faut tout réinventer, reconstruire, repenser. Soyons fous, soyons architectes, étonnons-nous, empruntons nos propres chemins. Il faut même dire merci à l’artiste qui en vert – couleur honnie du spectacle et à la fois celle du fantastique, de l’extra-ordinaire, du destin (triste destin!) – nous montre ce que nous ne voulons pas voir, oeuvre monumentale devenue happening politico-médiatique du réel, buzz gonflé puis retombant à coup sûr presque aussi vite. Ainsi va notre société. La beauté qu’on voudrait nous imposer est une erreur.
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Vert, histoire d’une couleur, de Michel Pastoureau (chez Seuil)