Tu cherches l’ocre. Le matin quand le soleil encore frileux traverse les persiennes tu ouvres à peine les yeux, les referme et derrière tes paupières tu sens la couleur naître entre toi et le soleil. Tu te lèves alors. Tu ne fais rien d’autre que sortir et du pied gratte le sable blond, la poussière se soulève, ocre espères-tu mais ce n’est pas encore elle. Tu t’éloignes, sur le chemin bordés de pierres tu cherches encore, autour de toi et en toi d’où te viens cette couleur, où est-elle née en toi, comment s’est-elle imprimée sur ta peau, ton sang tu te demandes s’il est ocre, tu t’arrêtes, gratte du doigt la terre, elle est noire, gratte encore, s’éclaircit, le calcaire en dessous, l’argile peut-être, les couleurs se mêlent, l’ocre sous tes ongles quand tu grattes, pas encore vraiment, l’ocre, ta vie ocre un peu épaisse qui s’effrite, tu grattes tes souvenirs sous tes paupières, derrière ton nombril, tu creuses, la couleur est partout à l’intérieur, tu la sais, tu connais son odeur, sa texture, sa voix presque tu entends l’ocre en toi et pourtant tu cherches, le matin et le soir, dans le pâle dans l’oubli, sur le chemin, dans ses yeux tu cherches l’ocre.
Votre dos se plie, raide. Vous connaissez les gestes. Ce n’est pas par cœur que vous les connaissez. Quand vous en parlez vous dites par habitude comme un jeu, c’est par la bile qu’ils sont entrés dans votre vie. Il faut bien travailler, là où l’on est, nourrir les enfants, leur payer des études. Alors à force de douleurs, de poumons ensablés vous avez appris. Vous vous souvenez de ce jour, la naissance de l’enfant votre fils, vos premiers mots droits dans les yeux une promesse. Sa vie ne sera pas la vôtre. La carrière, sa poussière, la chaux, sa poussière, les fours, leur poussière. Sa carrière à lui, grandir puis partir, loin de là où la vie vous enterre à ciel ouvert. Vous savez la terre, ses secrets et le linge à la maison gardé dans la remise là où il ne met pas les pieds, jamais. Vous ne voulez pas qu’il sente cette cendre claire, l’odeur de chaux vive, les vapeurs, votre transpiration charbon, votre transpiration calcaire, votre regard et vos mains veillent le four, son souffle brûlant vous consume. Votre toux du matin, celle du soir vous trahissent et vos yeux se détournent de l’enfant, qu’il ne voit, priez-vous, jamais les abysses ocres des sillons dans vos mains.