Dernière lecture, L’art de la révolte, de Geoffroy de Lagasnerie, aux éditions Fayard, collection « à venir ».
Je me posais la question, ces jours-ci, avant de tenter ici de parler de ce livre: pour qui écrivent les auteurs? Pour celles et ceux qui sont ou seraient à la hauteur de leur érudition et de leurs références ou bien pour des gens lambda comme moi, qui s’intéressent tout simplement aux choses de ce monde? Est-ce que l’auteur, pas de romans, mais d’essais, écrit pour ajouter une pierre à l’édifice de La Pensée, être dans un certain débat intellectuel ou pour stimuler le cortex du plus grand nombre? Questions bêtes? Je ne sais pas et n’en suis pas sûre. Parfois, les références à tel ou tel auteur, philosophe, etc sont « si simplement posées » que j’ai le sentiment que l’auteur me glisse à l’oreille
« Rassure-moi toi, tu la connais cette référence? Tu as lu? Sinon, pauvre que tu es, tu ne peux pas me comprendre… »
Ou serais-je parfois une lectrice un peu complexée?? (Je doute donc je suis!) Bref, ces questions, elles ne sont pas propres à L’art de la révolte, mais plutôt à tous ces bouquins que je lis sans être sûre d’être capable de suffisament les mettre en perspective. Ce dont je suis sûre, et seulement, c’est de la sensation, de ce qui me parcours après: souvent me sentir plus forte car plus curieuse.
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L’art de la révolte
Snowden, Assange, Manning
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Les révoltes, et les pavés, et les fumigènes, et les manifestations, ont passé. La révolte prend un nouveau visage, celui d’un siècle qui sera peut-être celui de l’anonymat, des foules anonymes, des individus anonymes, de collectifs virtuels en perpétuelle recomposition qui s’extraient du jeu, de la place publique, et revendiquent en devenant insaisissables la liberté d’échapper aux règles qu’ils veulent remettre en question. Ca paraît logique et pourtant, tous les combats, politiques, sociaux se sont joués dans une arène récusée néanmoins par l’un des protagonistes.
Il s’agit ici de déployer des luttes à travers la revendication d’une pratique de l’anonymat et de la non-apparition.
J’ai aimé dans ce livre le profond respect pour les activistes, les pages consacrées à la désobéissance civile (tout à fait éclairantes!!), la relecture d’Arendt, …
La polis, continue Arendt, c’est l’espace du paraître au sens le plus large
Avec Assange, Manning, Snowden, selon Geoffroy de Lagasnerie, les lignes bougent: la fuite, l’anonymat seraient les nouveaux marqueurs du lanceur d’alerte d’aujourd’hui, questionnant alors tout l’édifice de la politique qui ne serait plus seulement une scène, un espace public mais bien au contraire qu’il pourrait se construire, du moins être interpellé depuis l’ombre, hors champ, à contre-champ.
En s’alliant, les corps se rendent visibles et rendent ainsi visible la formation d’un « corps politique. »
Ici j’ai pensé aux films sur l’Intelligence Artificielle, sur les possibilités d’uploader des consciences. Alors j’ai commencé à imaginer des pensées pixelisées, matérialisées par du code, réunie dans un cloud. J’ai continué à rêver (est-ce le bon terme?) des mouvements contestataires planétaires, sous la forme de cumulonimbus de data-consciences, nuages mouvants, nouveaux « corps » politiques… C’est bien qu’un livre stimule l’imagination, non?
L’anonymat serait alors le nom d’une technique de désassujettissement.
Geoffroy de Lagasnerie questionne également l’Etat en ce qu’il nous définit en tout premier lieu, sans que nous n’y pensions vraiment. Ce droit du sol qui nous assigne une vie (« On ne choisit pas non plus les trottoirs de Manille…« ), un corpus de lois et règlements sans que nous n’ayons mot à dire. Intéressante utopie ensuite de mondes parallèles, vécus par libre adhésion uniquement. Mais aussi vigilance, l’année dernière j’avais lu quelques articles sur les projets d’Etats autonomes portés par les milliardaires de la Silicon Valley… et pour le coup, je n’avais pas vraiment été séduite, loin de là.
Avant d’être une promotion, le statut de citoyen est une imposition.
A la lecture de cette phrase, des discussions me revenaient à l’esprit, avec des ZADistes, qui voulaient reinventer le vivre ensemble et qui refusaient catégoriquement le terme de citoyen et l’idée de citoyenneté. Oui, Lagasnerie le rappelle, le citoyen est le pendant de l’Etat, des lois, il est un homme de droits et devoirs, un homme pensé comme légitimé par un Etat qui le possède.
Finalement, L’art de la révolte, me ravit en ce qu’il défend des alternatives à la politique telle qu’elle est construite partout. Il défend qu’il est possible de s’inventer, que les potentialités d’Internet pour recomposer nos mondes sont énormes. Mais pour tout cela, il faut miser sur une éthique forte de tous et chacun et là, sans doute rejoint-il Le Comité Invisible, il faut éduquer, faire monter en responsabilité.
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