Lundi : Orage
L’orage est venu comme il était annoncé. Précédé du vent serviteur, entouré d’éclairs en lances aiguisées, accompagné des tambours danseurs poétiques, de la pluie amazone puissante.
L’orage est venu comme je l’attendais, dans la nuit allongée. Endormie je guettais néanmoins, les fenêtres grandes ouvertes pour l’accueillir avec sa cour majestueuse. Les roulements des grosses caisses battues de bras souverains se rapprochaient, des lumières encore lointaines irradiaient, signalaient l’entrée des dieux. Je savais qu’il faudrait bientôt ouvrir les yeux pour me laisser transpercer par les blanches piques jetées jusque dans mes ténèbres.
L’orage est venu comme il était là tout autour et mes yeux devant lui à s’ouvrir renâclaient. Quelque chose les en empêchaient. Peut-être ne fallait-il pas ce jour-là se tenir face à lui. Peut-être fallait-il uniquement le ressentir. Peut-être voulait-il que nul ne l’observe. Tout juste mes paupières se fissuraient, déjà des clignements incessants les rabattaient. Je sentais les flèches de lumière gicler au travers mais rien, impossible alignement du regard et du combat du ciel livré à la terre. Le vent s’abattait sur le lit, la pluie moullait de quelques gouttes les draps, la pièce tonnait de toute part et les yeux tournés vers l’intérieur. Seule la peau voyait, touchait, sentait.
L’orage est venu comme j’ai tenté, tenté encore mais sans moi les agapes se sont consumées.
Je n’arrivais vraiment pas à ouvrir les yeux pour cueillir un éclair, je luttais contre moi-même!
Dimanche : Pierre
Il y a au pied de la falaise un toit. Et sur le toit il y a une pierre. Une pierre plus grande que le toit. Je regarde sidérée et amusée. Qui de la pierre ? Qui du toit ? Qui a déposé là cette pierre si massive ? Qui a bâti ici le toit aux tuiles si fragiles ? Il y a au pied de la falaise des humains qui ont édifié la ville au-dessus en-dessous dedans. Il y a dans la ville des pierres peintes d’ocre aux nuances fatiguées. Il y a dans les pierres un petit bout de l’âme de la falaise qui tient tout, la ville et les gens et les toits et les maisons et les repas et les rues et les pas dans la ville et les visages de la ville. Il y a au pied de la falaise.
Mais c’est fou me suis-je dit la roche et le toit!
Samedi : Roue
Une roue qui ne tourne pas est une roue sans vocation. Est une roue sans vie. Les trois derrières elles tournent pourtant. Restent figées la roue et moi à la contempler. Les frottements du sol n’y font rien. La roue ne tourne pas. Elle n’a que faire du monde qui tourne, des orbites planétaires car elle se veut un soleil. Que tout tourne autour, vas-y tourne tourne. Ne pas tourner c’est choisir d’être le cœur. Que tout valse, que tout tangue. Tournicote le monde à son entour. Un cœur est une roue immobile. Mais une roue sans vie c’est la mort alors, une roue qui ne tourne mais détourne le bon sens. Elle se joue du temps qui s’enroule et ride tout ce qui vit. Trop vieille pour tous ces tours qu’elle connaît par cœur. Elle sait les tours de magie, la trappe, le lapin, la manche, le sabre. A ce jeu, tourne en rond petit patapon, on ne l’y prend plus. Une roue qui ne tourne pas est une roue qui a tout compris.
Juchée sur mes rollers que je n’avais pas chaussés depuis 10 ans au moins. La roue avant, pied droit: y’a quelque chose qui cloche avec cette roue.
Vendredi : Place
Un café sur la place inondée d’ombre pour quelques minutes encore. Quelques minutes ou trois gorgées solitaires, c’est selon. Le temps est doux lorsque les passants se font secondes hautes en couleur. Secondes de robes à fleurs croisant parfois un regard, d’une seconde à l’autre, pas plus, millièmes en shorts bleus, centièmes en tenue du dimanche, mais c’est bien vendredi peu importe on a le temps ici. Le café est trop chaud alors les secondes passent, animales. Caniche noir trotte minuscule, teckel en pavane fraîchement peigné, chat esseulé comme moi à mon café traverse le temps à pas feutrés. Des secondes boulangères, c’est la queue qui s’étire, lente commence au soleil se termine en petite monnaie que je devine, mitraille déposée contre un pain paysan, tranché. Le temps se découpe le plus finement possible et fond sur la langue le jambon sur la table d’à côté, il savoure le pépé de son geste ralenti, sa main trouble dans l’assiette retrouve toute sa légèreté il a dû en voir passer des voies lactées entières de secondes au temps arrachées parce qu’il ferme les yeux et savoure toujours plus les fines lamelles de la bête tuée. Le café mouille maintenant les lèvres sans brûler, une gorgée, toute petite pour ne pas brusquer le sablier. De l’autre côté, ici même, une bière égrène son chapelet de bulles mais il ne faut pas trop tarder, avaler ce qui pétille frais avant que les rayons ne prennent place et que leur chaleur ne renvoie toutes les secondes aux abris. Le café solitaire, dernière goutte, dernière seconde, se lever. Quitter l’espace, temps délicieux de la place, que ce qui a été suspendu reprenne son vol.
Il n’y a rien de plus beau que la solitude d’un café en terrasse car tout devant soi peut gagner en magie si on la laisse agir. J’y crois.
Jeudi : Train
C’est épuisant de rater un train sur le quai, quand il a fallu poursuivre une valise aux roulements capricieux, essuyer son front, pour rien espérer pour une fois le retard. C’est fatigant de rater exactement un train vingt et une minutes avant le coup de sifflet. Parce qu’ailleurs un détour touristique a pris son temps. Parce qu’un pont en travaux oblige aux chemins de traverse. C’est lassant de voir ma journée sortir de son lit et déverser toutes ses incertitudes en travers d’une trajectoire pourtant si bien balisée. Tout aurait été si facile si seulement si. Monter dans le train. Caler la valise (ne pas l’oublier en sortant). S’assoir dans le sens de la marche ou à contre-courant peu importe. A côté d’une mère son enfant au sein accroché ou à la fenêtre pour regarder tout ce qui peu défiler. Deviner la musique de celui qui écoute trop fort. Se demander ce qu’elle tape frénétiquement sur son clavier, elle travaille c’est sûr quel courage. Attendre l’uniforme « messieurs dames contrôle des billets ». Ecouter la petite voix prochain arrêt. Rêvasser comme seulement on se perd dans un train que l’on n’a pas raté. Observer les nouveaux arrivés y’a dla place là-haut ?. C’est rageant de rater précisément un train vingt et une minutes avant attention au départ. Que faire alors de ce temps, hein ? Je languis que se dissipe tous les si, j’attends que l’espoir totalement s’évanouisse, je m’attarde à croire vraiment aux trois mots qui hantent ma moelle épinière pas si grave, je joue à l’architecte le fusain dans la main dans la tête dessine un plan B en trois D, c’est le b.a.-ba. Triangulation d’une journée presque déjà avortée.
Ce jour-là, j’ai su que j’avais raté mon train précisément vint et une minute avant son départ. Désabusée.
Mercredi : Lucane
Entre le fromage et le dessert il apporte sur la table un pot de confiture. Sans confiture. Dedans il y a d’abord une forme noire. Dedans il y a un coléoptère. Dedans il y a un lucane, cané. Une part de moi quitte la table et devient insecte, virevolte au-dessus de son congénère. Le cerf-volant ne goutera plus ni le ciel, ni le chêne qu’il léchait goulument. Il ne se dressera plus fier cerf face aux courtisans de sa belle, biche patientant, combien de temps encore, se délectant du jus épais suave sucré de l’arbre dans la forêt. Il a attendu lui dans le verre, vissé, hermétiquement, fermé. Regardez les enfants ce que je vous ai trouvé ! Il bouge pas papi, il ne pouvait pas respirer. Quand j’étais jeune à ça on en voyait mais maintenant c’est d’une rareté. Le pot de confiture sans confiture mais vide pour de bon a été refermé, le cerf-volant a été oublié car le tiramisu est arrivé. J’en prends une pleine assiette.
J’aime les coléoptères. Vivants.
Mardi : Sueur
Trois-cent-soixante-mille kilomètres au compteur qui font la fierté des enfants ça c’est un achat rentabilisé maman et l’air chaud qui s’accumule au rythme des aller-retours. Transpirer, respirer, transpirer. Les cuisses collent au siège, les mains collent au volant, les lunettes glissent sur le nez. Et la sueur qui serpente qui sournoise entre la viscose et la peau. Quelle idée du coton il fallait. Une goutte de sueur née à l’arrière du genou chatouille maintenant le mollet. Tonton, copine, courses. Trente-cinq degrés ça fait combien de gouttes de sueur accumulées. Visualiser. Goutte. À. Goutte. Kilomètre. Après. Kilomètre. Les pores font cascade de sel. Ce pourrait être saisissant, une statue de sel au volant d’une voiture sur la route élancée. Fenêtres ouvertes pourtant, le corps entier se fait liquide. Ce pourrait être stupéfiant, un être lymphatique au volant d’une automobile accrochée au bitume qui lui aussi, colle les pneus, colle les paysages, trouble l’horizon. La sueur habite désormais le pli du bras, une goutte dégringole d’une aisselle. Elle envahit kilomètre après seconde chaque fragment d’épiderme. Jamais elle n’arrête. Elle conquiert et répand une moiteur généralisée. Inutile de lutter. Ne reste à lui opposer que le terrain des idées. Celle du glaçon qui craque timidement au contact de l’eau. Celle de la source cachée sous la montagne. Celle de la cheville téméraire glacée dans la rivière. Celle du sorbet au citron qui ferme les yeux au contact de la langue. Je suis arrivée, trempée.
J’ai trempé une cheville dans l’eau de cette source un peu plus haut dans la montagne. C’était un autre jour, plus tard que la sueur au kilomètre. Mais j’y ai repensé comme un sursaut en même temps que saisie par la sensation glacée.