Je vous le disais il y a quelques jours, j’ai eu le plaisir d’animer les deux journées du colloque organisé par l’ABRI les 12 et 13 juin 2014, à l’occasion de l’anniversaire de ses 30 ans d’existence. L’ABRI est une association qui travaille sur les enjeux de santé, d’insertion, d’hébergement à destination de publics fragiles, avec une attention toute particulière pour les jeunes.
Une quarantaine d’intervenants ont contribué aux débats au travers d’interventions, de tables rondes, de partages de retours d’expériences. Tous ces temps furent riches d’enseignements. Je tente donc ici de rendre compte de ce qui pour moi était le plus fort.
Une société en crise
Nous vivons actuellement dans l’urgence sociale. Cette urgence se traduit par une précarité grandissante pour une part de plus en plus importante de la population française. Cette urgence appelle des réponses où les enjeux d’expérimentation, d’innovation, de mise en réseau, de responsabilités sont au cœur de ce qui pourrait être appelé un Droit à l’accompagnement social pour tous. Comment faire dans un monde où les dysfonctionnements sociétaux sont profonds? Notre société souffre d’un hédonisme du désenchantement et d’une paranoïa sociale: un individualisme trouvant sa source dans une déception quant au fonctionnement du vivre ensemble (un cercle vicieux alors) et un sentiment de peur généralisé et alimenté en permanence par certains médias.
La crise est aussi celle du Temps. Un temps maniaque, celui de l’urgence, de l’immédiateté. Pourtant, l’homme doit s’inscrire dans le Grand Temps, transmettre l’histoire sans la mélancolie, prendre le temps de mettre en perspective, de regarder des horizons lointains.
Il faut néanmoins, et plus que jamais agir… et être en capacité de le faire, quelque soit la place de chacun dans la chaîne de l’accompagnement: pouvoirs publics, associations (les professionnels et les bénévoles), usagers ou bénéficiaires. Le pouvoir d’agir est ici aussi un jeu de pouvoir, qu’il faut savoir partager, déléguer, confier.Le pouvoir où qu’il soit cristallise des rapports de force, même dans les champs de l’action humaniste.
Dans le Département de l’Eure, les enjeux sont partagés entre l’Etat et le Conseil Général: il faut déployer un parcours d’insertion global amenant la personne accompagnée de l’urgence au droit commun, notamment s’agissant du logement et ce dans le cadre du plan de lutte contre la pauvreté.
Pauvreté et précarité, deux termes à redéfinir. La pauvreté consiste à vivre avec peu. Elle est stigmatisée dans les sociétés occidentales mais peut-être valorisée dans d’autres. La précarité peut-être bonne ou mauvaise. Mauvaise quand elle constitue la peur de perdre ce que l’on a. Bonne, quand elle est conscience de notre besoin de l’autre pour vivre.
L’association, opérateur des pouvoirs publics?
Dans ce processus d’accompagnement, les associations s’interrogent sur le rôle qu’on entend leur faire jouer: véritables acteurs force de proposition, opératrices, coproductrices des politiques, adjudicatrices de marchés publics, concurrentes? La tendance généralisée à soumettre les associations à la commande publique, à des appels à projet tue l’innovation. Les pouvoirs publics entendent cette préoccupation et souhaitent travailler dans une logique de dialogue constructif et itératif permettant à l’ensemble des parties prenantes de contribuer aux politiques publiques… dans un contexte où les financements publics se raréfient. L’échelle européenne n’est pas oubliée! La définition des « services sociaux d’intérêt général » laisse la porte ouverte à l’association partenaire et non seulement opératrice. La subvention est légitime.
Le secteur de la santé n’échappe pas à ce constat. Alors des propositions sont posées: décloisonner, inventer une nouvelle gouvernance, ancrée sur les territoires et transparente. Un focus sur les maladies psychiques, pour ne pas utiliser l’expression de « handicap psychique » réfutée par plusieurs intervenants, a permis d’identifier des axes de travail prometteurs: agir « hors les murs » avec toujours plus de réseau (le néologisme « résoter » a pu être largement utilisé avec malice) et dans un objectif de parcours socialisant acceptant les différences, avec bienveillance et tolérance. Les malades et leurs familles attendent une politique d’informations préventive, une réelle égalité d’accès aux soins couplée à une lutte contre les situations de ruptures de droit. Une démocratie sanitaire en somme.
Habiter, au-delà du logement
L’accès au logement est une priorité, en témoigne le droit au logement (DALO) et à l’hébergement (DAHO). Mais dans la réalité, le secteur du logement semble avoir besoin d’une réforme pour mettre fin aux dérives telles que le recours abusif à l’hébergement hôtelier. Habiter, c’est d’abord s’habiter soi-même, son corps, pour ensuite être en capacité de se projeter dans un espace de vie à soi. Certaines personnes fragiles, en errance, sans domicile fixe souffrent du syndrome d’auto-exclusion: se couper de soi, pour dans le même mouvement se couper d’un monde violent. On rencontre alors des êtres qui ne ressentent plus la douleur physique et qu’il faut prendre le temps d’accompagner pour qu’elles se réinvestissent émotionnellement, physiquement. Alors, la personne peut habiter son logement.
Et si le logement n’était pas l’aboutissement mais le point de départ? Aujourd’hui, l’insertion est un escalier que la personne doit monter, souvent avec des chutes, pour atteindre le graal du logement. La France expérimente actuellement le « Housing first », appelé ici « Un chez soi d’abord« . L’expérimentation est menée dans 4 grandes villes françaises: Lille, Paris, Marseille, Toulouse. Le logement d’abord puis l’accompagnement global, individualisé, quasiment « à domicile ». Aux Etats-Unis, où le concept est né, le taux de sorties positives atteint 80%. Affaire à suivre…
Les jeunes, une génération précaire?
En 2010, le Secours Catholique a réalisé une étude sur la base de ses propres données recueillies au sein de son réseau, doublée d’une enquête auprès de 1000 jeunes. Les résultats sont forts. Les jeunes veulent que la société croit en eux, ils aspirent à la stabilité (famille, emploi). En même temps, ils font face à des situations d’emplois, de logement, de ressources qui se dégradent, avec un illettrisme en augmentation significative. Il faut alors changer de regard sur la jeunesse. C’est ce qu’a amorcé le Département de l’Eure depuis 2011 autour de deux constats: La précarité n’a pas d’âge et les jeunes ne constituent pas une classe sociale. Ils sont confrontés à une traversée du désert qui s’étend de la période des études à l’emploi. Et cette traversée du désert, s’il n’y a personne autour pour assurer le ravitaillement, elle est difficile voire dévastatrice, laissant des séquelles pour la vie. L’expression des jeunes placés dans « l’angle mort des politiques publiques » est utilisée. Elle traduit la nécessité absolue de proposer des solutions réactives. Les dispositifs sont là mais manquent sans doute d’efficience. Reste l’enjeu de la formation. centrale et dans la continuité de l’accompagnement vers l’emploi. L’exemple du dispositif 100 chances, 100 emplois permet de réaffirmer les priorités de coaching, d’ancrage territorial, de réseau. La garantie jeunes, actuellement en phase expérimentale notamment dans l’Eure, au-delà de son volet financier c’est surtout la mise en réseau des acteurs et l’intensité de l’accompagnement des jeunes qui sont soulignés. Bref, c’est bien une insertion à 360 degrés qui est réclamée par tous.
L’économie sociale et solidaire, en route vers un autre monde?
La loi ESS est actuellement en 2ème lecture et est attendue très prochainement, si possible accompagnée de ses décrets d’application. Elle crée l’agrément d’entreprise solidaire d’utilité sociale qui sera délivré sur critères dont celui de contribution au développement durable. La notion en vogue d’innovation sociale (article 10) y est présente. Elle prévoit également la création de fonds territoriaux de développement associatif et reconnaît la subvention publique comme mode de financement de l’ESS.
Les échanges se concentrent également sur les projets de ressourceries. La Région PACA a développé une politique complète en la matière, tandis qu’en Haute-Normandie, l’ADRESS a engagé une démarche collective en vue de l’émergence de projets, dont celui porté par l’ABRI.
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Exercice difficile que de retranscrire ici la richesse de ces deux journées de colloque où psychiatres, sociologues, travailleurs sociaux, médecins, représentants de fédérations associatives, bénévoles, … étaient présents. N’hésitez pas à vous rendre sur le site de l’ABRI où vous trouverez très rapidement les supports et documents de référence évoqués pendant les débats, ainsi que des images animées je crois…
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